Dimanche 1er janvier, M6 a diffusé un film animalier consacré à la faune de notre capitale, « La plus belle ville du monde ». Ce n’est pas le premier travail audio-visuel consacré à ce sujet mais c’est sans doute celui qui a mobilisé les plus gros moyens. Les autres films, des documentaires, « se contentaient » en effet de filmer dans la « nature » parisienne des animaux sauvages (oiseaux, chauve-souris, lapins, renards, etc.) en essayant de communiquer au spectateur le plaisir de découvrir l’existence d’une faune libre en ville ainsi que certaines informations sur le phénomène relativement récent de l’acclimatation urbaine d’un certain nombre d’espèces.
Le film de F. Fougea au contraire utilise essentiellement des animaux imprégnés ou même dressés pour leur faire « jouer » des scènes écrites par un scénariste. On invente donc une histoire qui est censée accrocher le spectateur et, pour cela, on n’hésite pas à « tordre la réalité » pour la faire entrer dans le scénario.
« La plus belle ville du monde » n’est évidemment pas le premier film a utiliser la présence d’animaux imprégnés : « Le peuple migrateur », film à succès consacré à la migration des oiseaux, était déjà en grande partie fondé sur ce procédé, avec les mêmes conséquences gênantes pour la « réalité scientifique »…
Mais d’abord qu’appelle-t-on « imprégnation » ? C’est un concept défini il y a déjà 80 ans environ par le célèbre éthologue autrichien Konrad Lorenz qui l’a décrit d’abord chez des oies cendrées et des choucas des tours : des jeunes oiseaux considèrent le premier être vivant qui s’occupe d’eux dans les premiers jours de leur vie comme leur « parent » et vont le suivre comme ils suivraient leur véritable parent. On en arrive donc à pouvoir faire suivre un ULM à des oies, des grues, des ibis chauves, etc. On devine l’intérêt cinémùtographique extraordinaire de la trouvaille et je me souviens de mon émerveillement de voir sur des images de la BBC il y a une trentaine d’années des sarcelles d’hiver en vol filmées à leur hauteur… Ce procédé donne évidemment des images extraordinaires et il n’est pas question de le nier !
Cependant, la surenchère et la nécessité de préfinancer un film (et donc présenter un scénario « accrocheur ») ont vite poussé les producteurs vers des dérives bien pénibles à supporter quand on est un tant soit peu attaché à la nature sauvage…
Dans « Le peuple migrateur », on voyait des images étonnantes ( des oies cendrées passant sous un pont de la Seine, des Bernaches nonnettes faisant le tour du Mont St Michel, des grues cendrées se posant sur le Larzac…), simplement parce que les conseils régionaux correspondant avaient cofinancé le film ! Même si cela négligeait le fait que les grues ne passent pas (ou très rarement) au-dessus du Larzac ou que les oies ne passent pas sous les ponts de la Seine pour leur migration, mais bien plus haut ! A noter que ce type de plan spectaculaire a été d’ailleurs été refait pour le film de F. Fougea…
D’autre part, cela permet de tourner des scènes proprement inimaginables, comme (dans « Le peuple migrateur ») ces bernaches à cou roux qui se posaient dans une flaque d’hydrocarbures d’un site industriel, ces oies à tête barrée qui se posaient dans la neige au moment de passer l’Himalaya ou les grues venant manger dans la main d’une vieille habitante du Larzac (en fait son « éducateur » déguisé…) !
Dans le film parisien, ce sont les deux scènes de capture d’un pigeon par un Faucon pèlerin qui sont les plus choquantes : on « voit » l’oiseau, qui est dressé et pas seulement imprégné, piquer de très haut à une vitesse effectivement incroyable ( 2-300 km/h) pour attraper un pigeon… au sol ! Si cela arrivait dans la réalité, le pèlerin s’exploserait au sol ! En fait ce rapace est connu pour ne capturer ses proies qu’en vol (les fauconniers parlent de « chasse de haut vol »)…
Cette oie cendrée n’est pas imprégnée, mais elle s’est adaptée à la vie londonienne…
Enfin, pour les besoins du scénario, on en arrive à inventer des situations qui ne correspondent pas du tout à la réalité : « La plus belle ville du monde » repose sur l’histoire d’une famille d’oies cendrées suédoises qui utilisent l’hippodrome d’Auteuil comme halte migratoire habituelle… Evidemment, les oies cendrées survolent régulièrement Paris (mais sans passer d’abord au-dessus du chateau de Versailles : elles viennent du nord-nord-est !) et il est toujours possible qu’une oie, en général fatiguée, se pose un peu au hasard. De là à faire de Paris une halte migratoire régulière, il y a une marge : l’espèce va utiliser plutôt les zones humides et les prairies qui les entourent !
Je vais peut-être passer pour un grincheux qui critique « de si belles images »… mais je pense sérieusement que ce genre de film marque la fin des documentaires car il ne « documente » rien : indépendamment des erreurs dont il était truffé, ce film raconte une histoire qui n’a que très peu de choses à voir avec le phénomène pourtant passionnant qu’il prétend décrire : l’adaptation d’une partie de la faune à la ville. En particulier, à regarder ce film, on a l’impression que presque toutes les espèces qu’on trouve en ville sont d’origine exotique (on y voit le silure , le ragondin, la bernache du Canada, l’oie à tête barrée, le tadorne casarca, le canard mandarin, le canard carolin et la perruche à collier !) alors que sur les 60 espèces d’oiseaux nichant dans Paris intra-muros, seules trois espèces (Perruche, Bernache et Cygne, qui est une espèce introduite il y a quelques siècles) sont d’origine exotique.
Tout ça parce qu’il doit être plus difficile d’imprégner une sittelle ou une fauvette à tête noire qu’une oie…
Merci de ce commentaire Frédéric ! Je n’ai pas vu le film mais cela ne m’étonne pas. D’où l’intérêt de la « Vallée des loups » film je crois complètement exempt de trucage.
Bonne année !
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En février 2016, nous avions retrouvé sur le lac de Créteil, des oies cendrées et l’oie à tête barrée qui ont été utilisées pour ce film, car elles se sont échappées lors du tournage. Très imprégnées, elles n’avaient absolument pas peur des humains, ce qui pouvait leur être fatal. Nous avions été en contact avec un membre de l’équipe de tournage. Ils n’ont pas jugé utile de venir les chercher…
– Les oies viennent à ma rencontre (étonnant!) https://www.flickr.com/photos/michel-noel/24839904833/in/dateposted/
– Exemple de gros plan possible avec ces oiseaux imprégnés https://www.flickr.com/photos/michel-noel/25440468366/in/photostream/
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J’ai regardé environ 15-30mns ce documentaire : tellement scénarisé et peu naturel, que ça en devenait peu intéressant…
Quand on prend le temps d’observer en vrai la faune à Paris & IDF, on peut se rendre compte de toute la diversité de cette faune qui nous entoure (du rougegorge au faucons crécerelles et pélerins, de la petite souris au renard) et « sans artefact », on peut avoir en face de très belles situations 🙂
Merci d’avoir écrit votre post 🙂
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Un petit coucou (c’est pas la saison, je sais) de Belgique. Meilleurs voeux à toutes et tous. Et principalement à toi Frédéric pour ce superbe commentaire et cette critique réaliste.
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Frédéric je suis 10% d’accord avec toi : j’avais vu ce livre au BHV (éventuel cadeau pour Noel) et quelle HONTE en le feuilletant : c’est une imposture une fiction
Cela heurte totalement le travail minutieux et patients que demande la VRAIE obs naturalistes : celle où les espèces sont tellement rares, fugaces ou chétives (plantes) qu’il faut vraiment un naturaliste acharné avec une grande connaissance des espèce et du site (et de la chance) pour faire une nouvelle obs ou une photo sur site
Je mets dans le même panier de livres bon pour le pilon « Paris 2050 » qui essaye de nous montrer un Paris faussement vert mais vraiment hyper bétonné complétement déconnecté de la réalité issu pareillement du factice et de la propagande : on détruit tout mais on pourra toujours fictionner après
Avec ce genre de livre/films on a plus besoin d’avoir de vrais animaux sauvages ou des vrais connaisseurs de la Nature : il suffit de venir avec son camion rempli de ragondins, oies et renards et de les poser où on veut dans Paris
Stade suivant ce sera les images de synthèse avec pourquoi pas des phoques barbus dans la Seine devant la Tour Eiffel
C’est le triomphe du Toc, du Faux
Un seul exemple de cette « fiction » ce Ragondin incongru dans le centre de Paris alors que c’est un animal HERBIVORE et qui ne pourrait donc s’alimenter sur les quais minéraux du Paris historique mais vit effectivement à proximité sur la Marne dans les parties ayant de la végétation et des iles sauvages
A contrario je me suis acheté au BHV le magnifique « Envol du gypaête » photographié sur site par de vrais passionnés (des dingues quoi…)
https://www.amazon.fr/Lenvol-du-gypa%C3%A8te-Antoine-Rezer/dp/B01AUHIWX4/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1484143327&sr=1-1&keywords=gypaete
Je peux aussi conseiller le livre de notre ami « Les oiseaux de Seine St Denis » dont toutes les photos sont du 93 (d’autres dingues aussi…)
http://obsenfrancilie.over-blog.com/page/3
Et ce magnifique documentaire
http://www.france5.fr/emission/terres-sauvages-de-russie/diffusion-du-28-12-2016-20h50
Une petite obs perso (Flore) :
J’ai trouvé mon 4eme Alisier de Fontainebleau (arbre protégé) du bois de Vincennes ce dimanche … mais je l’ai pas planté 😛
Alain Thellier – ANCA
Au pilon :
https://www.amazon.fr/Paris-2050-Vincent-Callebaut/dp/274992748X
https://www.amazon.fr/plus-belle-ville-monde-sauvage/dp/2732474339/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1484143572&sr=1-1&keywords=plus+belle+ville+du+monde
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Bonjour Alain,
merci pour ton commentaire et en particulier pour le livre sur les Oiseaux du 93, publié par le Corif !
J’ai cru comprendre à la lecture que c’était plutot à 100% que tu étais d’accord avec moi…;-)
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pour sûr que ce film est un produit esthétisant, ciblé comme un centre commercial péri-urbain et sans garantie de succès. Une grosse dépense d’énergies sans volonté de gardes-fous.
Pour moi il est une autre dérive, celle des naturalistes qui décernent dans un grand sérieux ridicule les ordres du mérite et les honneurs en légion, voire les décrets de mise à mort ou e déportation. Ces humains-là sont donc des gestionnaires de l’environnement, pour mieux camoufler leur positionnement de dominants derrière un paravent aux imprimés de scientifisme et dans un discours solidement basé sur le bien-fondé. 😉
Prudence, compagnons (si vous me permettez), prudence et vigilance.
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T’as le droit, J-Luc, de prendre les choses comme ça mais on peut aussi estimer que si les naturalistes ( ni plus ni moins « gestionnaires de la nature » que quiconque) ne réagissent pas à de telles manipulations, on abandonne le terrain aux margoulins de l’image…
Quant au « sérieux ridicule », j’ai toujours préféré donner quelques arguments précis plutôt que de simples « ressentis » !
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Bien sûr on peut considérer comme argumentaire tout ce qui s’aligne sur ton dogme et ressenti ce qui ne l’est pas, mais je dis simplement qu’avec telle fâcheuse vision des choses on en arrive à dire qu’il y a les « bons » naturalistes et le reste du monde, considération très dans l’air du temps et que là, « nous » nous engageons sur une mauvaise sente.
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Et pourquoi donc ne dirais t on pas qu il y de mauvais naturalistes « des illusionistes » si c est le cas (.. et nous en connaissons tous)
Sinon on tombe dans une auto censure dictee par le politiquement correct qui revient a dire « tout est beau » de peur de chagriner qques uns
Je sens l argumentaire a la limite du godwin = si on critique on est des fachos
faut arreter de delirer : on est grand quand qqun vous dit ‘J ai pas aime ton travail’ faut se poser des questions sur soi et son travail plutot que de couiner
Alain Thellier – ANCA
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La plus belle ville du monde, ok, mais quand on aime la nature pas besoin d’y habiter.
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Si non j’ai vu ce film , le peuple migrateur, en tout cas le dernier réalisé par Mr Perrin, tellement entendu parler que c’était super etc…j’ai trouvé ça super moyen.
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